Portrait : Les Armagnacs du Domaine d'Aurensan


Quand on parle d’Armagnac, on pense souvent aux « Bas-Armagnacs », qui historiquement bénéficiaient déjà d’une réputation plus flatteuse que leurs terroirs voisins (le Haut-Armagnac et la Ténarèze). Ceci est en partie dû au fait que ses sols sablonneux offrent des eaux-de-vie plus souples gustativement et qui atteignent leur apogée plus rapidement (25-30 ans).

Le Domaine d’Aurensan se situe quant à lui en Ténarèze, là où l'argilo-calcaire règne en maître, ce qui donne au vigneron "des eaux de vie structurées, robustes, expressives, avec une grande capacité de vieillissement", nous avise Caroline Rozès, qui a rejoint l’exploitation en 2012. C'est en approche familiale, notamment avec son Papa, que Caroline est venue réveiller ce qui était devenu de la "distillation pour le cercle familial et amical élargi". Son attachement pour la valorisation de cette eau-de-vie semble prendre ses sources dans l'enfance, où Caroline est tombée, comme beaucoup d'autres petits gascons, dans la potion magique locale déposée au fond d'une cuillère à soupe chauffée au feu de cheminée, mélange d'armagnac et de sucre blanc. Un "brulôt", pour les mémoires…

Les profils aromatiques sont élégants, épurés et cette approche se reflète jusque dans les flacons du domaine pensés comme de beaux objets à destination de produits fins, soulignant leur unicité. En effet, on ne recherche pas ici l’homogénéité gustative, d’un compte d’âge à un autre, mais bien la mise en valeur d’une alchimie qui n’a pas vocation à être reproductible, comme expression d’une création alliée à l’écoute de l’évolution. Ainsi, le dernier 15 ans d’âge est la synthèse des millésimes 2005, 2004, 1996 et …1978 !

Et c’est forte de cette écoute que Caroline a donné l'opportunité à son terroir de développer des nouvelles "expressivités d'eaux de vie propres à l'effet cépage" en plantant notamment des cépages oubliés de la région pourtant bien connus des anciens. Ainsi, Plant de Graisse, Meslier Saint-François, Mauzac blanc, Mauzac rosé, Clairette de Gascogne et Jurançon blanc se côtoient sur la parcelle rebaptisée « Le Carré des Fantômes ». Le jeune armagnac, distillé à degré d’alcool plus bas (53-54°) pour en préserver le bouquet, a son expressivité propre, peu marquée par le bois neuf afin de laisser place à ces arômes nouveaux, de tilleul, de fruits à chair blanches, de notes fraîches délicatement herbacées, entre tonus et gourmandise. Les comptes d’âge de domaine d’Aurensan présentent quant à eux des notes compotées, de fruits à coque, avant de s’affirmer vers des touches de sous-bois. Les nuances de réglisse se mêlent à des notes d’épices douces ; il y a à la fois du caractère et de la complexité le tout avec une exceptionnelle longueur.

Est-il besoin de le rappeler, nos eaux de vie traditionnelles ont besoin de temps pour transmuter ; en 35 ans, on perd 50% de son volume initial en Armagnac…

La famille Rozès est, vous l’aurez compris, une famille de producteurs, et non pas de négociants. Leur démarche s’inscrit dans un maximum de « bon sens » ; matériel d’occasion, pas d’usage d’herbicides, chênes locaux et tonnelier local pour la réalisation des foudres, rendements plus faibles pour concentrer la qualité, usage de cépages pour leurs propriétés organoleptiques et non pour leur rendement. Ici, pas de réduction, pas de sucres, pas de colorants. 

Après sa reconversion professionnelle, Caroline nous confie aimer ce nouveau mode de travail qui permet la « prise de décision courte, à l'instinct » tout en alignement avec des valeurs filiales. Avec son arborescence, l’homme-arbre qui orne ses bouteilles prend le contrepied du zodiaque et de son Sagittaire où s'élève dans ses chais non pas l'homme depuis l'animal mais l'homme via le végétal. Il y a là les ingrédients de la transmission, d'un ancrage tant bien affectif que terrien. L'esprit Rozès se retrouve dans ce symbole, et sait bien que finalement, il appartient plus à ce lieu-dit Aurensan que l'inverse.